La maison est clair-obscur — le petit atelier dans une belle lumière du nord.
Dans un coin, des tubes, quelques pinceaux, à peine, presque pas, prêts…
La peinture est vitale, c’est presqu’une maison. C’est une présence forte qui prend toute la place.
Une toile finie libère, jusqu’à la nécessité de la suivante.
L’une après l’autre.
Les peintures sont denses, intenses, toujours debout.
Posées au sol, on est face à face, en regard.
Des bruns, des ocres, des mélanges, toutes les couleurs ensemble — des images mates, sourdes, opaques.
Elle s’installe debout devant une toile, ni trop loin, ni trop près. Après un temps à penser, regarder, méditer, elle y va, comme poussée par une nécessité. Elle avance, elle entre dedans.
Elle peint debout, face, contre.
La toile est un espace tactile, une matière souple, une peau vivante.
Des strates, encore, encore, sans penser à finir.
Une forme reconnaissable qui apparaît empêche de continuer. Elle la dissous, déstabilise à nouveau, pour pouvoir poursuive.
A un moment, après un long temps, c’est terminé.
Elle quitte.
La peinture évolue ensuite seule, lentement. Elle aimerait que les strates d’en-dessous réapparaissent.
Les dessins sur papier, c’est autre chose, c’est autrement, le journal nécessaire de moments — elle n’a pas compris, sa confiance trahie — chaque jour entre chien et loup.
Restent un peu fragile — elle, les dessins — légers, ne pas les fixer, qu’ils puissent prendre le vent…
Elle fait une longue pause. Pas besoin.
Quand une toile tombe, elle se pose tout doucement, comme une plume.
Brigitte Mouchel, à propos de Jeanne Le Sage